Il semblerait en France qu’il y ait une confusion entre fantasme et réalité concernant le consommateur numérique. Alors que sur les médias sociaux, les uns et les autres dénoncent le retard des entreprises françaises, aurait-on omis que le consommateur digital ne représente qu’une partie de la population ? Depuis une décennie, je me disais que c’était parce que j’avais fait le choix de fuir la vie parisienne pour vivre en pleine campagne que j’avais cette impression d’un profond décalage entre les lectures, discours de ma vie professionnelle et les témoignages que je recueillais au cours de ma vie personnelle. S’il est vrai que l’écart est moins prononcé dans les grandes agglomérations, il est aussi présent et ce, quelle que soit les générations.
Le Tiers Etat numérique
Le 7 janvier 2014, Accenture publiait une infographie où l’on pouvait lire que « Tous les consommateurs sont désormais passés au numérique ». Vu de ma fenêtre, en Bretagne et plus particulièrement à l’est de Rennes ou dans le Finistère, mais aussi dans toutes les communes rurales et petites villes de France, il n’en ai rien. Il y a aussi ces autres, en marge des innovations technologiques et numériques que j’ai surnommé le Tiers Etat numérique.
Inexistant volontairement ou pas pour les acteurs du digital et du numérique, ce nouveau Tiers état est l’empêcheur-de-tournez-en-rond pour ceux qui décident et mettent en place des politiques publiques dans ce domaine ou encore pour les apôtres de la vente en ligne et du e-commerce. Le Tiers état numérique est la lèpre d’une France qui se pavane et se vante d’être l’une des puissances mondiales, à la pointe de l’innovation.
Tiers état numérique ? Mais qui sont-ils ? A priori, ils ne sont pas chef d’entreprise ou indépendant, quoique… Le milieu social est plutôt celui des classes populaires et des classes moyennes, quoique… Leur métier est souvent manuel, mais en tout cas, sans contact avec l’outil informatique, quoique… S’ils sont secrétaires, architectes, projeteurs ou assistants par exemple, l’ordinateur reste un outil uniquement professionnel et trop souvent indomptable (selon de nombreux formateurs qui les rencontrent à l’occasion d’une période de chômage). Ils ont tous les âges. Ce sont autant des femmes que des hommes. Bref, le Tiers état numérique, c’est tout ceux qui ont « loupé le virage », soit parce qu’ils avaient d’autres préoccupations et pas d’intérêt pour cette fenêtre sur écran, soit parce que cela n’était pas à leur portée.
Oui, mais alors pourquoi les taux d’équipement pour les ordinateurs et les tablettes sont-ils si élevés ? Ceux du Tiers état numérique ont en effet généralement aussi un ordinateur. Mais, est-ce parce que l’on a un ordinateur dans son foyer que l’on sait s’en servir et qu’on s’en sert. Etant donné le nombre de voisins dans mon village que j’ai formé à l’envoi de mails avec et sans pièce jointe, à l’enregistrement de fichiers dans des dossiers, à la recherche sur le web, etc., je vous dirais « NON ».
On notera que l’on trouve aussi des jeunes dans ce Tiers état. Tous nos bébés des années 1990-2000 ne sont pas des Digital Native ! Par contre, contrairement aux générations plus âgées, ces jeunes ont parfaitement acquis le minimum pour acheter sur le web, comme par exemple sur le Bon coin. Mais, ceux-là ne sont pas encore des e-consommateurs, loin de là.
Des exclus ou un loupé du e-commerce ?
Si la situation risque de s’avérer irrationnelle lorsque les administrations passeront au tout-en-ligne comme c’est annoncé, les membres anonyme de ce Tiers état ne semble pas souffrir de cette « marginalisation ». Ils ont vécu avant le e-commerce et vivront très bien sans. Mais, ils admettent tout de même être pénalisés lorsqu’ils sont des professionnels. Par contre, d’avoir oublié de les former et d’avoir un système scolaire qui force peu sur les apprentissages informatiques et même bureautiques, en particulier dans les filières de l’agriculture et des autres métiers manuels, le secteur du e-commerce se prive d’une bonne part de clientèle qui aurait pu trouver des avantages à commander en ligne plutôt que de se rendre dans les grandes agglomérations les plus proches (entre 30 minutes et 1 heure de trajet dans la plupart des cas) pour des petits et moyens achats, en particulier.
Pour exemple, je citerais La Poste (dont les horaires des agences sont un casse-tête pour la plupart des salariés) qui perd un fort potentiel sur ces produits en ligne tels que le recommandé, le portage de médicaments… Il y a aussi les boutiques en ligne telles que celle d’IKEA dont les conditions de livraison mériteraient franchement d’être revues, mais aussi les fournisseurs de téléphonie, les enseignes vestimentaires, etc. Mais ceux qui perdent le plus par cette marginalisation, ce sont les commerçants locaux qui auraient pu trouver de nouveaux débouchés et une clientèle plus importante grâce aux atouts du web quand ils sont localisés dans ou près de no man’s land.
Bref, la France se coupe en 2, tant dans la vraie vie que dans le monde virtuel. Reste une question en suspens : qui formera ces « oubliés du web » d’aujourd’hui et de demain ?
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